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Prévost et son Cleveland :

essai de mise au point historique


[Article paru dans Dix-Huitième Siècle, nº 7, 1975, p. 181-208, corrigé.]



[p. 181] Les romans de Prévost ne sont guère connus aujourd'hui sinon de réputation, et sa carrière remarquable d'écrivain l'est encore moins. Ce n'est pas sans raisons : cette vie pleine de revers, ressemblant en cela à celle de ses héros, n'est documentée que de manière très incomplète ; et les romans qui firent sa renommée, à deux exceptions près (Manon Lescaut et Histoire d'une Grecque moderne), n'ont pas été édités depuis 1823, et jamais jusqu'à récemment dans une version digne de confiance(1). Pourtant leur place et leur influence dans la communauté des esprits cultivés qu'on appelait à l'époque la « république des lettres », n'ont jamais été révoquées en doute. Le Philosophe anglais (autrement dit Cleveland), dont il sera question ici, a connu, en dépit de sa longueur (plus de 2 400 pages dans l'édition originale in-12º), plus de vingt éditions, sans compter les nombreuses traductions : on ne peut pas ne pas tenir compte d'une œuvre qui annonçait par son titre un thème philosophique, et dont la popularité s'est maintenue tout le long du siècle des Lumières. Comprendre la signification de ses œuvres dans la vie de l'auteur lui-même est d'autant plus problématique que Prévost n'écrit pas d'ordinaire ses romans d'un trait : ce sont des enfants de la douleur, nés partiellement en fonction de ses angoisses personnelles et menés à terme par à-coups. Et cependant, malgré ce processus en apparence aléatoire, Prévost ne laisse pas ses romans inachevés, comme le font quelquefois ses collègues même les plus doués, tels Marivaux et Crébillon.

Les sept tomes de Cleveland -- plus un tome apocryphe -- s'échelonnèrent de 1731 à 1739 et parurent dans des versions différentes, les quatre premiers dès 1731 et les trois autres en 1738 et 1739. Aussi l'histoire complexe de cette publication n'a-t-elle [p. 182] jamais été parfaitement débrouillée ; les conclusions longtemps suivies de Harrisse(2), souvent fautives, étaient à réviser. Nous avons donc cru nécessaire ici de la reprendre dès le début et de mettre à contribution toutes les indications connues ; ceci nous permettra de corroborer, tout en le précisant, le résumé donné par Jean Sgard pour les tomes I à IV(3), et d'éclaircir enfin ce qui s'est réellement passé quant à la publication longtemps différée de la suite et de la conclusion du roman (tomes VI à VIII). Pour la clarté de l'exposé, il vaut mieux reconstituer cette chronique par étapes, à commencer par la parution -- d'abord en Angleterre, puis en Hollande, enfin en France -- des deux premiers tomes, auxquels s'ajoutèrent bientôt les deux suivants.

En ce qui concerne la composition de ces quatre tomes, nous ne disposons que de deux témoignages à peu près contemporains et ils ne s'accordent malheureusement pas. Voici d'abord ce qu'affirme Dom Alexandre Nicolas Dupuis dans son Abrégé de la vie de Prévost :
 

Immédiatement après son arrivée en Angleterre, il fit en moins de trois mois, les deux premiers tomes de Cleveland. Sa facilité était si grande, qu'en composant, il suivait une conversation sur des sujets différents. Sa mémoire était presque toute sa bibliothèque ; et il assurait qu'il n'avait jamais oublié ce qu'il avait appris(4).


C'est en 1728 que Prévost est passé en Angleterre : aurait-il commencé si tôt le manuscrit qu'il emportera avec lui en Hollande vers novembre 1730(5) ? Ce n'est pas impossible, mais l'inspiration du roman fait croire qu'il naît plutôt de différents renseignements tant anecdotiques qu'historiques recueillis par l'auteur au cours de son séjour. La version de Gautier de Faget dans les Mémoires du chevalier de Ravanne est sans doute plus sûre, quoique difficile à interpréter dans le détail (ajoutons qu'elle n'a paru qu'en 1741). L'auteur et Prévost viennent d'arriver à Amsterdam après un bref passage à La Haye :
 

[p. 183] Nous nous renfermâmes à l'auberge dans le dessein de ne paraître qu'après avoir fini les Mémoires de Cleveland ou le Philosophe anglais, que nous commençâmes en arrivant. Je dis nous, quoique je n'aie eu d'autre part à cet ouvrage, que d'avoir donné l'idée de quelques aventures, et pris la peine de le mettre au net. Trois semaines de travail assidu nous conduisirent à la fin du quatrième volume. Nous avions projeté de le pousser jusqu'au septième, et nous l'aurions fait tout de suite, si un libraire d'Utrecht qui acheta le manuscrit, n'eût eu l'empressement de l'imprimer tel qu'il était, dans l'espérance que Prév... lui donna de lui fournir incessamment le reste. Mais dès que nous eûmes touché notre argent, son ardeur pour le travail se ralentit. Il promit cependant de le continuer, et s'engagea même avec deux libraires de La Haye à traduire l'Histoire de M. de Thou, et à l'enrichir de remarques intéressantes : et comme les libraires s'étaient aperçus qu'il avait du penchant à la dissipation, ils l'engagèrent à aller demeurer à La Haye, afin de le faire travailler sous leurs yeux(6).


Or Prévost avait vendu assez tôt un manuscrit des deux premiers tomes à un éditeur de Londres, peut-être avant son départ, car la traduction anglaise y paraît en avril 1731, au moins deux mois avant l'édition d'Utrecht en français. Il n'aurait donc pu, semble-t-il, commencer le roman en arrivant à Amsterdam ; en toute probabilité Faget veut dire plus exactement qu'ils se mirent, en arrivant, à l'achever. On peut supposer, comme l'a suggéré M. Sgard, que Prévost s'occupait alors à finir les tomes III et IV (en principe les derniers) et Faget à en faire des copies. Il y en eut certainement plusieurs, car le roman s'imprimait presque simultanément dans trois pays différents. Quant aux sept volumes auxquels « Ravanne » fait allusion, il pense tout simplement à la longueur qu'aura le roman enfin terminé en 1739 : en 1730-1731 Prévost entendait pousser l'ouvrage jusqu'à sa conclusion, mais il ne savait certainement pas combien de volumes il comporterait au total. Il en aurait donc été détourné par le déplacement d'Amsterdam à La Haye, vraisemblablement en mars, mais en tout cas avant juillet, après avoir livré à l'imprimeur Manon Lescaut(7).

Le « libraire d'Utrecht », c'est Étienne Néaulme, qui avait, comme son frère Jean Néaulme et Pierre Gosse à La Haye, une association commerciale avec Nicolas Prévost (sans parenté avec l'abbé), éditeur à Londres(8). C'est ainsi que l'Historia Litteraria, [p. 184] publiée par ce dernier, annonce dans son numéro paru le 16 mars 1731 les deux éditions utrechoise et londonienne en même temps : « The same Bookseller [Étienne Néaulme] is also printing les Mémoires de Mr. Cleveland fils naturel de Cromwel, traduits de l'anglais. In l2mo. 4 vol. (The said Memoires are actually printing in London from the Original Manuscript)(9). » En fait ce n'est pas, bien entendu, le manuscrit « original » qui s'imprime à Londres, quoique ce soit en effet la version anglaise qui constitue, pour les deux premiers tomes du moins, l'édition originale. La situation s'arrange à merveille -- sinon à dessein -- pour corroborer que ces mémoires soient authentiquement « traduits de l'anglais », ainsi que l'annoncent les titres de toutes les éditions en français. Examinons maintenant les premières éditions une à une.
 
 

L'édition de Londres.

C'est donc Nicolas Prévost qui a eu le premier le manuscrit des deux premiers tomes, ou en tout cas qui a jugé bon de les publier sans attendre les deux autres qui devaient terminer le roman. Le 10 mars 1731, son édition est annoncée comme imminente dans The Daily Journal(10), et elle paraît un mois plus tard, le 9 avril(11) (c'est-à-dire le 20 avril date française(12)) sous ce titre : The Life of Mr. Cleveland, natural son of Oliver Cromwell, written hy himself(13). L'annonce donnée par le Monthly Chronicle d'avril esquisse, après le titre, le contenu de l'ouvrage : « In which is contained, the private history of the Usurpation, hitherto unknown ; together with [p. 185] many incidents of an uncommon and extraordinary nature(14) ». Il est intéressant de noter que ces lignes se trouvent dans la catégorie des livres d'histoire. L'éditeur était en effet enclin -- comme l'auteur -- à profiter au maximum de l'ambiguïté du genre, et à faire passer l'ouvrage autant que possible pour d'authentiques mémoires historiques : un document inédit sur la vie secrète de Cromwell ne manquerait certes pas de susciter un vif intérêt. Cependant il n'ose pas l'annoncer sans ambages comme tel, puisque aucun lecteur un peu informé ne tarderait à dénoncer la fraude. L'Historia Litteraria, où normalement il n'est pas beaucoup parlé de romans, consacre à celui-ci un article de huit pages(15) ; le critique ne cache pas son scepticisme sur sa véracité historique, mais il refuse à la fin de se prononcer, se contentant d'un résumé des arguments de la Préface et des événements racontés dans les deux tomes. Nicolas Prévost continue ainsi de traiter ce roman d'une manière un peu spéciale, le classant, par exemple, dans son grand catalogue de 1731, sous la rubrique : « Historia », section « Biographia(16) » -- alors que l'édition hollandaise paraît dans le même catalogue sous le classement : « Humaniores Litterae », section « Miscellanei(17) » !

Quant aux tomes III et IV, « The Editor's Preface » du t. I (p. xv) n'avait dit que ceci : « In a little time I shall publish two volumes more, which will conclude the work. » Mais ces tomes-ci ne paraîtront à Londres qu'en 1732, on ne sait dans quel mois : l'édition originale en sera bien, à la différence des deux premiers, celle d'Utrecht. Nicolas Prévost les donne cette fois sous son nom seul, dans une édition de quatre volumes dont les deux premiers sont tout simplement ceux de 1731 garnis d'une nouvelle page de titre(18). Il fera banqueroute en novembre 1733(19), mais cette impression de 1731-1732 sera encore rééditée en 1734 par T. Astley qui en acquiert les droits. [p. 186]
 

L'édition d'Utrecht.

Sans une rupture qui s'est produite entre Étienne Néaulme et Prévost, il nous manquerait un document extraordinaire et inestimable concernant la publication de Cleveland. Impatient d'attendre encore à la fin de 1732 la suite et conclusion du roman, Néaulme publie, avec commentaire, l'essentiel de sa correspondance avec l'auteur, dans une petite brochure portant ce titre :

Extraits de plusieurs lettres de l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité. Publiés par Étienne Néaulme. Pour se justifier de ce que la continuation du Philosophe anglais ou de I'Histoire de Mr. Cleveland ne paraît pas encore(20).
On remarquera que c'est comme auteur des Mémoires d'un homme de qualite qu'était désigné ordinairement celui du Cleveland. Voici ce qu'y dit Néaulme sur les termes de son contrat avec Prévost :
 
 
Dès le mois de décembre 1730 mon frère libraire à la Haye, étant à Amsterdam, fit l'accord pour moi avec l'auteur. L'engagement portait, qu'il devait fournir dès le premier février 1731, un ouvrage fini dans le nombre d'environ 60 feuilles, la feuille à tant(21)... sous le titre de Philosophe Anglais, ou de l'Histoire de Cleveland, à compter sur le caractère et sur le format des Mémoires d'un homme de qualité ; que s'il y avait plus ou moins de feuilles on les payerait ou on les diminuerait à proportion. L'auteur était si fort dans ce sentiment qu'il le réitera lui-même dans une lettre en date du 21 février 1731 où il dit « nous pousserons le Cleveland aussi loin qu'il vous plaira, car dans ces ouvrages qui ne sont que pour le plaisir, il importe peu que la fiction se trouve mêlée avec la vérité. »
Tout le monde sait dans quel temps les deux premières parties de ce livre ont paru, on est encore plus instruit combien le public a langui avant que de voir paraître les deux autres, mais je passerai sous silence, toutes les prières et toutes les instances, que j'ai faites alors [...].


Fin février, donc, les tomes III et IV n'étaient pas encore achevés ; mais rien ne prouve que Néaulme n'ait pas reçu presque en même temps que Nicolas Prévost le manuscrit des deux premiers. II semble plutôt qu'il ait différé volontairement leur publication, voulant donner tout l'ouvrage à la fois.

Une feuille in-12 (c'est le format des Mémoires d'un Homme de [p. 187] qualité auquel il se réfère) donne 24 pages ; 60 feuilles feraient donc quatre volumes de 360 pages chacun. Cette quantité, Prévost l'a en fait livrée en 1731 : il se dira plus tard quitte de sa parole vis-à-vis de Néaulme(22). Aux yeux de l'éditeur, cependant, le terme essentiel du contrat était : « un ouvrage fini(23) » ; car en écrivant les tomes III et IV, Prévost a visiblement changé de projet(24), et n'en est pas à beaucoup près à la conclusion(25). Dans la lettre du 21 février citée par Néaulme, il n'est déjà plus question d'un roman complet en quatre tomes : à cette date les tomes III et IV sont presque faits ou au moins ébauchés et Prévost sait que ce n'est pas la fin, car il s'est lancé dans l'histoire des amours de Cleveland et de Cécile, et rien ne paraît encore des multiples conspirations anglaises annoncées dans la Préface. D'ailleurs la narration se détend et prend par moments l'allure d'un roman-feuilleton à intrigues intercalaires -- lorsque, par exemple, Cleveland entame le récit du général Lambert en expliquant que c'est « un délassement qui sera agréable à mes lecteurs(26) ». Voici en tout cas comment parurent effectivement à Utrecht les quatre premiers tomes.

On a vu que la première allusion à l'édition de Néaulme date du 16 mars 1731(27). Ensuite, dans le Catalogus librorum de Nicolas Prévost, publié sans doute en mai, le nouvel ouvrage (« 2 vol. Utrecht 1731 ») figure à côté des Mémoires et aventures d'un homme de qualité ; le nom de l'auteur y paraît pour la première fois(28). Cet article ne prouve pourtant pas que les volumes étaient vraiment parus ; vers la même date, Le Journal Littéraire de La Haye annonce l'édition seulement comme imminente(29). [p.188]

Les deux premiers tomes portant le nom d'Étienne Néaulme ont dû en fait voir le jour en juin ou juillet, pourtant ils ne furent pas aussitôt mis en vente(30). Ils sont toutefois attestés par la Bibliothèque Belgique pour le mois de juillet :
 

Étienne Néaulme a imprimé et débite Le Philosophe anglais, ou Histoire de Monsieur Cleveland, fils naturel de Cromwell, écrite par lui-même, et traduite de l'anglais par l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité : c'est le même qui travaille à la traduction de Mr. de Thou. Nous n'avons encore reçu que les 2 premiers volumes de cet ouvrage, qui est in-12º. Comme nous attendons incessamment les deux autres, nous remettons aussi à parler de ce joli roman, jusqu'à ce qu'il soit complet, pour n'en pas faire à deux fois(31).
II semble que Néaulme vient de renoncer à publier en quatre volumes un « ouvrage fini » ; il imprime donc les tomes I et II mais les garde presque tous en magasin, afin de les vendre en même temps que les tomes III et IV qu'il est prêt à mettre sous presse. D'après l'« Avis du libraire » qui suit la Préface du premier tome, il devait en avoir déjà le manuscrit en main : « Des raisons particulières m'ont obligé de différer de quelques semaines l'impression des deux derniers volumes, j'avertis le public, qu'ils ne tarderont à présent à paraître, qu'autant qu'il faudra de temps pour les imprimer, c'est-à-dire, un mois ou six semaines ». Mais espérant encore obtenir de Prévost un tome cinquième promis(32), Néaulme patiente jusqu'en septembre : c'est seulement alors que la Bibliothèque Belgique annonce la suite(33). Dans son numéro du mois suivant elle en donne un long compte rendu dont le début précise l'état de la publication :
 
II y a déjà du temps que nous avons reçu les deux premiers volumes de cet ouvrage, et en les annonçant nous remîmes à en parler, jusqu'à ce que l'edition des deux autres volumes, que nous croyons devoir être les derniers, nous mît en état d'en faire un jugement plus assuré. [...] L'Histoire de Mr. de Cleveland n'était, pour ainsi dire, alors qu'annoncée ; [p. 189] elle ne se debitait point; et nous étions du trés petit nombre de privilegiés qui par hasard avaient anticipé le debit public des exemplaires. Nous nous trouvons à present trompes dans notre attente. Un Avertissement placé après la Preface nous annonçait dans un mois ou six semaines les deux derniers volumes. Ces deux volumes paraissent ; mais à les comparer avec cette Preface, il sont bien éloignes d'être les derniers(34).


Ainsi, on peut supposer que la vente générale des quatre tomes commença vers le moment où Néaulme inséra, le 2 octobre 1731, sa première réclame dans la Gazette d'Amsterdam(35).

Mais il y a du nouveau ici : la publicité de Néaulme porte la mention : « avec figures », alors qu'il n'y en avait pas dans les deux premiers tomes ; pourtant la nouvelle édition de Néaulme en 1732(36), « enrichie de figures en taille douce » comme l'indique la page de titre, en comportera huit(37). Pour l'instant il faut supposer que toutes les figures, préparées au cours de l'année 1731, ont été insérées dans les deux derniers tomes, comme dans l'édition de Paris : c'était, d'ailleurs, la même série de gravures.
 

L'édition de Paris.

Pour éditer une œuvre en France, il fallait normalement passer par une institution dont ne se souciaient ni Nicolas Prévost ni Étienne Néaulme : la censure royale. Le texte était soumis à l'approbation d'un lecteur officiel, moyennant quoi un privilège ou permission était accordé. C'est ainsi qu'on trouve dans le registre de la Librairie, à la date du 2 avril 1731, l'article suivant :  « [Nº] 1082. Le Philosophe anglais ou hist. de M. Cleveland / P. [présenté] par Didot. dist. [distribué] à M. Lancelot / approuvé Le 15 Avril 1731 / P. G. [privilége général] à Didot(38).

L'approbation [p. 190] qu'on trouve imprimée à la fin du tome II issu des presses de Didot est signée Lancelot et datée du 9 avril ; elle est suivie du privilège pour six ans au nom de Didot, signé Samson, modifié aussitôt par cet acte de cession : « Je reconnais que M. Jacques Guérin, a la moitié au present privilège. A Paris ce 4 May 1731. Didot(39) ». Vu les dates, on peut supposer que Didot avait présenté à la censure une copie du manuscrit des tomes I et II qu'il entendait éditer personnellement, mais cédait à Guérin par cet accord la suite éventuelle.

En tout cas Didot n'a pas publié sitôt l'ouvrage, vraisemblablement parce qu'il attendait, comme Néaulme, que la suite soit prête ; ce n'est que le 20 novembre 1731 que ses deux volumes sont attestés dans les registres(40). Le Journal des Savants, en les annonçant en décembre, remarque encore qu'il « doit y avoir quatre volumes de cet ouvrage(41) ». Les tomes III et IV, publiés par Guérin, sont retirés pour la Bibliothèque du roi le 22 mars 1732(42).

Les coupures pratiquées dans le texte des deux premiers volumes par le censeur -- ou par Didot lui-même -- n'étaient pas bien extensives : quelques phrases seulement, plus l'atténuation de quelques expressions qui pouvaient, d'un point de vue religieux ou politique, sembler trop vigoureuses. Il en fut tout autrement des tomes III et IV, et c'est ce qui explique sans doute la lenteur de leur parution. En effet, par rapport à l'édition de Néaulme, on peut constater que dans les deux volumes publiés par Guérin presque tout le tome IV avait disparu -- si bien que [p. 191] Harrisse a supposé qu'il devait y avoir eu un cinquième tome de Paris, resté introuvable. On peut se demander si l'article de la Bibliothèque Belgique en octobre 1731 n'avait pas contribué à cette sévérité du censeur, car le critique s'était attaqué surtout aux raisonnements philosophiques et religieux des livres vi et vii contenus dans le tome IV, accusant le romancier de prêter des armes au déisme. Prévost pour sa part s'était cru obligé de réfuter cette charge dans une lettre qu'il envoya au Journal Littéraire(43). Or tous les passages visés manquent justement dans les tomes parisiens de Guérin parus en mars 1732. Si cette chirurgie est passée presque inaperçue, c'est que les éditeurs avaient eu soin de la cacher de leur mieux. En apparence, les tomes Didot-Guérin représentent la même distribution du texte que ceux de Néaulme : les livres i-ii et iii dans les tomes I et II respectivement, livres iv-v et vi-vii(44) pour les tomes III et IV. Mais à partir dit livre v, les divisions étaient dérangées : en fait, le t. III de Guérin ne contient que le livre iv et le début du livre v; le t. IV, la fin du livre v et le début du livre vi : tout le reste est supprimé. Si on regarde le nombre de pages plutôt que les têtes de chapitre, on remarque que chez Néaulme les deux premiers tomes comportaient 595 pages et les deux derniers 751 ; alors que dans l'édition Didot-Guérin ces chiffres sont respectivement 760 et 670.

Une autre preuve de cette supercherie est fournie par l'effort d'un éditeur inconnu pour suppléer l'omission : Harrisse signale l'existence d'un tome sans lieu ni date portant l'indication : « Tome cinquième. Suite du sixième livre. Imprimée cette année », et dont l'Avis parle d'une « restitution des retranchements faits à l'édition de Paris(45) ». Il est probable que « cette année » veut dire 1732, l'éditeur s'étant aperçu de la lacune dans l'édition de Paris et s'étant empressé de la combler aussitôt à l'aide de l'édition Néaulme. Partir de là, comme le fait Harrisse, pour affirmer que ce supplément établit la réalité d'un cinquième tome Didot-Guérin dont il serait la contrefaçon, n'a pas de sens. Prévost lui-même, [p. 192] d'ailleurs, dit explicitement ce qui s'était passé, dans une lettre écrite le 22 septembre 1732 (que Harrisse n'avait pas vue) à Étienne Néaulme qui le pressait toujours d'achever la suite du roman :

Je ne dois pas vous laisser ignorer qu'un libraire de Paris, nommé M. Didot, qui a contrefait cet ouvrage, mais de l'aveu de Mrs. Gosse et Néaulme, m'est venu prier de lui composer une liaison qui puisse assortir le tome que je vais donner avec les quatre de l'édition de Paris. La raison qui le porte à cela, est qu'on l'a obligé de retrancher une partie du dernier tome de votre édition, ce qui empêchera que ce que je vais donner ne puisse lui être utile, à moins que je n'apporte moi-même quelque remède à cet obstacle. Je lui ai répondu que je ne pouvais honêtement me déterminer là-dessus, sans vous l'avoir communiqué. II pretend lever mon objection, en m'assurant que Mrs. Gosse et Néaulme y consentent, et que cela suffit. Voyez, Monsieur, ce que vous pensez de tout cela, et prenez la peine de me le marquer(46).


La censure n'avait donc pas forcé Didot à renoncer à la suite du roman, mais il se rendait compte que sa version coupée s'enchaînerait mal sans toute la suite de l'action, d'où l'importance d'une « liaison ». Prévost, qui est, comme il le dit, « un peu dans le besoin d'argent(47) », pense à profiter promptement de cette proposition.

Néaulme lui-même a l'air d'admettre que Didot publiera la continuation à Paris sous privilège, mais tient à ce que la « liaison » requise ne précède pas son propre dernier tome : « à l'égard de l'affaire de M. Didot, je lui marquai que je ne consentirois jamais à rien, qu'après qu'il auroit fini mon 5 Tome du Cleveland, que pour lors nous vérions. M. Didot vint dans ce tems là à Utrecht, il convint avec moi quc cela étoit juste, et il repartit pour la Haye où il en convint aussi, avec Mrs. Gosse et Neaulme, en presence de Temoins. »

L'existence d'un accord entre Étienne Néaulme et Didot était d'ailleurs indiquée par la parution des mêmes gravures à Paris et à Utrecht en 1732. Il semble, comme l'a pensé Harrisse, qu'il s'agit de planches tirées par Néaulme et communiquées aux éditeurs de Paris pour être insérées dans leur édition, d'autant plus qu'elles ne paraissent que dans les deux tomes de Guérin en 1732, et dans [p. 193] un ordre tout bouleversé par rapport à l'édition Néaulme(48). Cette coopération entraîne sans doute un partage volontaire du marché commercial : Didot et Guérin abandonneraient à Néaulme le droit de débiter le roman à l'étranger, à condition que Néaulme respecte en France (où au moins à Paris) l'exclusivité que garantissait en principe leur privilège. Mais cet accord ne dura pas longtemps.
 
 

Le tome V apocryphe et les rééditions.

Le roman se vendait bien et le public réclamait la suite, comme en témoignent abondamment les manœuvres, éditions et contreéditions des années 1732 à 1736. La correspondance publiée par Néaulme donne tout le détail de son impatience croissante face aux atermoiements continuels de Prévost ; sans doute espérait-il que Prévost en serait suffisamment embarrassé pour croire devoir satisfaire le public sans délai une fois que sa mauvaise foi serait connue. Mais il n'en alla pas ainsi : Prévost se laisse trop distraire par d'autres choses(49), notamment par Lenki et par la traduction de l'Historia Thuana dont le premier tome ne paraîtra qu'en janvier 1733. Le tome cinquième et dernier du Cleveland fut promis d'abord pour Pâques 1732, ensuite pour août, puis pour le début de 1733 ; il devient l'appât d'une espèce de chantage pour extorquer à Néaulme une avance de cent florins (puis cent autres et plus tard deux cents ; il prétend que Chatelain, comme Didot, offre de payer beaucoup mieux son temps que Néaulme) alors qu'il est clair que Prévost ne s'est pas encore mis sérieusement au travail ; enfin il se déclare dégagé de son contrat, le 23 octobre 1732.

Exaspéré, Néaulme se décida à se disculper aux yeux du public en lui révélant ces lettres, et à la fin à pourvoir par d'autres moyens à la conclusion du roman. Il confia à une plume inconnue son propre tome cinquième qui devait anticiper l'intrigue de Prévost en suivant les lignes indiquées dans la Préface ; c'est ce tome qu'annonce dans ses nouvelles littéraires en 1734 le Journal Littéraire : « E. Néaulme d'Utrecht a publié depuis peu le cinquième et dernier tome de Cleveland ou du Philosophe anglais. On reconnaît [p. 194] le premier auteur dans le commencement de ce volume(50) ». Ce volume a en effet le même format que les premiers, avec deux gravures correspondant à l'action de ses livres viii à xii. Néaulme a eu du moins la délicatesse de supprimer dans le titre l'expression « par l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité », mais on voit par les termes de l'annonce qu'il fait de son mieux pour faire croire que le volume est bien de Prévost.

Vers la même époque, Néaulme réédite aussi les quatre premiers tomes en plus petit format, cette fois divisant en deux le très long tome III pour faire en tout cinq volumes ; cette édition, à laquelle sont jointes encore les figures de 1732 légèrement retouchées et rapetissées, est annoncée dans la Gazette d'Utrecht le 27 et 29 avril 1734. Comme les trois derniers volumes de cette édition s'appelaient respectivement : t. III, ire partie ; t. III, iie partie ; et t. IV, c'était encore une édition en quatre « tomes » ; mais puisque Néaulme a ajouté à cette édition aussi le faux tome V, la description pouvait en paraître ambiguë(51).

La seule supposition solide qu'on puisse faire sur l'auteur du tome V, c'est qu'il était protestant. Sa conclusion est pleine de séditions jésuitiques en Angleterre, à la cour et ailleurs ; le Jésuite évoqué dans les livres vi et vii de Prévost reparaît et raconte lui-même sa vie : c'est un tissu d'inceste, d'homosexualité, d'athéisme, de viol et d'autres délits ; Gelin à son tour se fait Jésuite et décrit tous les crimes commis par les membres de la Société. En plus, la présentation des conflits internationaux est partiale pour la Hollande et l'Angleterre aux dépens de la France. Épouvanté par des inventions pareilles qu'on pouvait mettre sur son compte juste au moment où il cherchait à se réconcilier avec les Jésuites et avec son propre ordre, Prévost riposte dans Le Pour ci Contre en juin 1734. Les éditeurs, s'exclame-t-il, ont les mêmes mobiles et juste autant de scrupules que les corsaires :
 

Mais comme le droit naturel doit l'emporter sur le positif, les règles par lesquelles ils se conduisent n'empêcheront point que l'intérêt que j'ai moi-même à ne pas passer pour l'auteur d'un livre que je n'ai pas composé, ne me fasse déclarer ici que je n'ai aucune part au cinquième [p. 195] tome du Philosophe anglais, imprimè à Utrecht en 1734. J'ajoute que la publication de ce volume ayant fait cesser les principales raisons qui m'empêchaient de finir l'ouvrage, je reprendrai la plume incessamment pour le continuer jusqu'à la fin. Cette suite contiendra deux volumes, et je m'efforcerai de les rendre dignes de l'accueil que le public a fait aux premiers(52).


II est vrai que Prévost avait toujours manifesté l'intention d'achever son roman ; la raison qui l'en a « empêché » est peut-être sa dispute avec Néaulme, et l'obligation contractuelle qu'il considère désormais comme résiliée. De retour en France, Prévost se voit un meilleur avenir ; son idée de Cleveland s'est développée -- il parle maintenant de deux tomes pour finir -- et il pense l'achever à brève échéance. Mais l'abbé défroqué avait beau nier sa part à l'incommode tome V, certains continuèrent à le suspecter(53).

Le démenti formel du Pour et Contre est rapporté presque tel quel dans les Mémoires de Trévoux pour le mois de novembre, avec pourtant une pointe d'ironie à l'égard de la prétendue innocence de Prévost : « l'auteur secret s'est donné la torture pour rendre son style conforme à celui des quatre premiers volumes(54) ». Mais l'année suivante voit un revirement des Jésuites de Trévoux contre le romancier(55), qu'ils accusent d'avoir « déclaré la guerre aux journalistes de Trévoux », feignant de croire à nouveau qu'il a réellement écrit le cinquième tome(56). La réponse de Prévost, qui voulait éteindre la querelle, se trouve dans une lettre non publiée qu'il envoya aux révérends pères(57) : il proteste que leurs plaintes sont sans cause, propose la paix, et les assure que la véritable conclusion du roman tournera à la gloire de la Société(58).

Lorsque paraît le premier tome du Doyen de Killerine en juillet 1735, Prévost en profite pour reprendre, dans la Préface, la défense de Cleveland qu'il avait présentée contre la Bibliothèque Belgique en 1731, réaffirmer son innocence concernant le t. V, et annoncer sa propre conclusion « en deux tomes avant la fin de cette année(59) ». Ce ton de conviction paraît prouver qu'il est prêt, ou commence [p. 196] même, à l'écrire ; l'imprécision sur sa longueur réelle, par contre, prouve qu'il ne l'avait pas encore fait.

En France il n'avait pas été question, bien entendu, de publier ce volume qui blessait tant la religion. Mais en Angleterre, T. Astley, se servant apparemment de ce qui restait des éditions de Nicolas Prévost et y substituant seulement sa propre page de titre, produit une édition en 1734 à laquelle il ajoute, en 1735, la traduction du tome V. Il la réimprimera d'ailleurs dans son édition toute nouvelle en 1741 : chose cureuse, la vraie conclusion de Cleveland n'a, jusqu'à ce jour, jamais paru en anglais.

Dans l'intervalle, François Didot continuait à vendre et peut-être même à éditer l'ouvrage. Vers la fin de 1736 il insère dans son Catalogue des livres iniprimés chez Didot, et de ceux dont il a nombre cet article ambigu : « Histoire de M. Cleveland, fils naturel de Cromwel, nouvelle édition augmentée ; par l'auteur des Mémoires d'un homme de qualité, in 12. 5. vol. 1736. 10. l [livres](60) ». Cette édition pourrait être « augmentée », par rapport à celle de 1731-1732, par la restitution des parties omises. L'avis qui, en 1738, vient en tête de la suite du roman se réfère également à la « dernière édition » en cinq tomes vendue par Didot et Prault. Les registres de la Librairie ne nous instruisent en rien à cet égard, car Didot, détenant déjà le privilège pour six ans pour « un ou plusieurs volumes conjointement ou séparément », n'avait besoin que de l'autorisation du directeur(61). Il pouvait tirer argument, en ce cas, de la concurrence des éditions hollandaises passant en contrebande en France, et qui étaient, parce qu'intégrales, évidemment préférables à la sienne : le registre des saisies en témoigne(62). Ne pouvait-il pas faire prévaloir ce dilemme pour se faire acccorder enfin le droit de compléter son édition ?

Cependant, la seule édition de 1736 en cinq tomes attestée est celle qui a paru sous le nom d'Etienne Néaulme(63) ; elle contient la totalité des sept livres que Néaulme avait imprimés précédemment, sans les livres apocryphes. L'article de Didot y correspond parfaitement, et on peut supposer que c'est bien cette édition-là [p. 198] qu'il débite chez lui. Mais les gravures, que Néaulme gardait dans son édition de 1734, ont disparu ; et, chose encore plus étrange, Néaulme ne fait pas la moindre allusion à cette nouvelle édition dans ses annonces publicitaires en 1736.

Or tout s'explique si l'origine réelle de cette édition est française, la fausse indication de provenance étrangère étant prescrite par la procédure des permissions tacites(64). En effet, elle porte toutes les marques d'une édition parisienne : papier à raisin, réclames en fin d'assemblages, signatures A8B4, etc., avec la moitié des feuillets signés chaque fois en chiffres romains (A[i]-Aiiij, etc.) ; alors que les éditions antérieures de Néaulme portent une réclame à chaque page et des signatures par douzaines, les feuillets 1 à 7 étant signés en chiffres romains. La seule raison qu'on puisse avoir, en fin de compte, pour l'attribuer à Néaulme, c'est son nom sur la page de titre : mais cette preuve, à la lumière des circonstances dans lesquelles paraîtront les tomes suivants, ne vaut justement pas grand'chose. Ainsi Didot -- ou Prault, ou un autre avec leur collaboration -- réussit finalement à éditer à Paris la version authentique des parties achevées.
 

Les trois derniers tomes.

Prévost, rentré en France au début de 1734, passa plus d'un an à négocier son absolution et sa réintégration chez les Bénédictins, puis sa translation dans l'ordre de Cluny ; il s'abstenait pendant ce temps de publier des œuvres de fiction, et l'on comprend que le faux tome V l'inquiétât. Sa cause est gagnée en février 1735(65), et en août, après avoir publié le premier tome du Doyen de Killerine, il commence cinq mois de pénitence à l'abbaye de La Croix Saint Leufroy, au cours desquels il se contente de méditer et d'avancer ses projets littéraires : c'est la « retraite » dont il parle dans une lettre écrite en anglais (octobre ou novembre 1735) : « Cleveland and that dear Fanny are not out of my mind, but great many friends of mine, on whose counsels and wisdom I rely, advised me to publish no love-works 'til my retreat be over. 'Tis the only [p. 198] reason why the second part of Killerine has not been printed yet(66) ». A en croire ce qu'il avait dit à Néaulme, Prévost avait déjà fini quatre ou cinq feuilles de la continuation, ou le tiers d'un tome, en mars 1732 ; peut-être n'y avait-il rien ajouté depuis, mais il a pu s'y remettre vers le milieu de 1735, car la Préface du Doyen qu'on a déjà citée promet incessamment deux tomes finals. Il semble avoir pris avant cette date la décision de modifier encore une fois son projet de façon fondamentale, en abandonnant l'idée d'un roman politique anglais, que son continuateur anonyme avait systématiquement exploitée ; selon le nouveau canevas, Cleveland ne rentrera en Angleterre qu'à la fin, et les événements politiques mentionnés dans la Préface ne figureront qu'en marge de la vie du héros, à travers les histoires de Clarendon et de Monmouth.

Quelques mois après sa retraite, Prévost pense sérieusement à faire paraître la conclusion du roman, et pour la première fois la longueur indiquée ne sera pas un ou deux volumes mais trois, ce qui correspond à la version finale. L'Avertissement du livre viii à dû être écrit vers cette époque, puisqu'il commence sur ce ton d'incertitude : « Dans quelque tems qu'on se détermine à mettre au jour la suite du Philosophe Anglois, et soit qu'on fasse paroître ensemble ou successivement les trois Volumes qui restent à publier, j'exige de l'imprimeur qu'il y joigne cette courte préface ». En tout cas Prévost entendait n'avoir plus affaire à Néaulme, et comptait que le reste de Cleveland, comme Le Doyen de Killerine, serait publié à Paris avec l'accord du censeur : ce serait utile au rétablissement de sa réputation en France. Le commissaire Simon Henri Dubuisson rapporte qu'au début de mai 1736 le libraire Prault achetait le manuscrit. « M. Prevost a ajouté trois nouveaux volumes à son Cleveland, qui en seront la conclusion. Prault le fils, libraire sur le quai Conti, en a acheté le manuscrit 1 000 livres au moins ; M. Duval, l'un de nos approbateurs de livres, m'a assuré en avoir fait le marché à ce prix(67) ». Ces détails sont confirmés par l'abbé Leblanc, qui ne cache pas son scepticisme sur l'affaire, dans une lettre du 27 août : « L'abbé Prévost est las de travailler à son Pour et Contre peut-être parce que le public rebuté s'est lassé de le lire ; il le va cesser mais ce n'est que pour en donner [p. 199] un autre sous le titre de l'École du Goût. Il y a trois mois qu'il [a] aussi fait marché avec mon imprimeur des 3 derniers volumes de Cleveland cependant il ne livre pas le ms. et si vous voulez que je vous dise ce que j'en pense, je crois qu'ils ne sont pas faits(68) ». C'est vraisemblablement par suite de cet accord, et par anticipation d'une conclusion imminente, que fut faite l'édition parisienne de 1736. Mais une fois de plus, l'éditeur et le public sont contraints d'attendre. « La suite de Cleveland n'est que pour Pâques », écrit un correspondant parisien de Voltaire en février de l'année suivante(69). En fait, elle ne devait voir le jour que vers Pâques en 1738.

Si l'édition de 1736 est signe que l'indulgence du garde des sceaux Chauvelin était acquise, la disgrâce de celui-ci en février 1737 devenait un nouveau malheur pour Prévost. Faute de s'être pressé davantage, il aura désormais affaire au chancelier d'Aguesseau, si connu pour son hostilité au roman(70). Cependant le fait est que le chancelier donna plus tard sa permission, et on va voir -- preuves indépendantes à l'appui cette fois -- que les trois derniers tomes de Cleveland désignés « à Utrecht, chez Etienne Néaulme » parurent également, non en Hollande comme on l'a toujours cru, mais à Paris(71). Et, comme le signale la notice du tome VI, ils ne portent les numéros VI à VIII que parce qu'ils sont faits de manière à pouvoir compléter cette édition de 1736 : « NB. Il est bon d'avertir qu'on n'a mis Tome sixiéme à la tête de ce volume, que pour s'accommoder à la derniere édition des premieres Parties, qui se vendent en cinq Tomes chez Prault fils et chez Didot, quoique la premiere édition de l'Ouvrage qui s'est faite à Utrecht en 1732. ne soit qu'en quatre Tomes, qui contiennent exactement la même chose ». Il n'y eut donc jamais un tome V original ; le résultat peut-être accidentel de cet agencement fut de faire disparaître, pour ainsi dire, le tome V apocryphe.

Non pas que d'Aguesseau ne s'y soit opposé d'abord, comme en témoigne une gazette à la main du 15 mai 1737 :
 

[p. 200] Hier matin chez Procope les beaux esprits ordinaires se sont entretenus sur ce qu'on assure que Mr. le Chancellier ne veut pas souffrir qu'il paraisse d'avantage de nouveaux romans qui gâtent la littérature et le goût ; on a cité l'abbé Prévost qui avait été trouver M. le Chancellier au sujet de son cinquième tome de Clevelande qu'on lui faisait difficulté de passer comme roman ; sur quoi quelques beaux-esprits ont essayé de parler en faveur des romans dont us prétendent qu'on ne doit point frustrer le public quand il n'y a rien contre la religion et contre les bons [sic] mœurs, la plupart de ceux de ce temps-ci étant au contraire remplis de bonne morale : sur quoi on a beaucoup disputé(72).


Un certain public était donc bien au courant, et les lecteurs de Prévost attendaient avec quelque impatience la conclusion tant promise. Malgré cette résistance initiale, le chancelier finit par acquiescer, mais il exigea une assurance que la conversion de Cleveland, annoncée d'ailleurs dès la Préface du premier tome, aurait bien lieu dans les derniers. C'est ce qu'assure au moins Condorcet cinquante ans plus tard : « Sa sévérité pour les Éléments de la philosophie de Newton n'est pas la seule petitesse qui ait marqué son administration de la librairie : il ne voulait point donner de privilèges pour les romans, et il ne consentit à laisser imprimer Cleveland qu'à la condition que le héros changerait de religion(73) ». Notons que les Éléments, de Voltaire, parurent précisément en 1738, ainsi l'observation pourrait logiquement s'appliquer seulement à la conclusion de Cleveland, et non au roman entier(74). On ne sait d'où Condorcet, né en 1743, tient ce renseignement ; et si on a longtemps supposé qu'il faisait allusion à la première permission accordée en 1731, c'est surtout à cause de l'erreur commise à cet égard par Chamfort (lui-même né seulement en 1740) dans une affirmation parallèle : « M. le chancelier d'Aguesseau ne donna jamais de privilège pour l'impression d'aucun roman nouveau, et n'accordait même de permission tacite que sous des conditions expresses. Il ne donna à l'abbé Prévost la permission d'imprimer les premiers volumes de Cleveland, que sous la condition que Cleveland se ferait catholique au dernier volume(75) ». [p. 201]

En réalité c'est vers le début de 1738 que ce consentement était intervenu. Pour « tacite » qu'il fût, il n'était pas un secret : la Gazette d'Utrecht en explique les circonstances au moment où paraît le tome sixième :
 

Mr. le chancelier Daguesseau, qui a fait de si sévères défenses contre l'impression des romans, afin de détruire par-là le mauvait goût qui s'est renouvellé ici pour ces productions imaginaires, a bien voulu, aux instances du prince de Conti, se relâcher de sa rigidité à cet égard, en faveur de Mr. l'abbé Prévôt d'Exiles, connu par sa belle traduction d'une partie de l'Histoire de Mr. de Thou. Cet auteur a obtenu la permission d'achever son Histoire de Cleveland, qu'il avait commencé en Hollande. Il vient d'en donner le cinquieme tome, qu'il distribue lui-même à l'Hôtel de Conti. II se propose d'y joindre encore 2 tomes, pour conclure l'histoire. Le prince de Conti honore Mr. Prévôt, d'une protection et d'une bienveillance toutes particulières(76).


La continuation de Cleveland se vendait donc librement à Paris comme, l'année suivante, celle du Doyen de Killerine(77). Le volume devait être déjà en vente en mars lorsque Prévost y fait allusion dans Le Pour et Contre : « La multitude de fautes d'impression qui se sont glissées dans les dernières éditions de l'histoire de Cleveland, me met dans la nécessité de donner quelque jour un errata. Comme il trouvera place dans cette feuille, j'avertis d'avance que dans le nouveau tome qui s'est imprimé en Hollande, et dont on assure qu'il est passé quelques exemplaires à Paris, l'imprimeur a mis deux fois le Cap de Bonne Espérance, an lieu du Cap-Verd(78). »

Les fautes citées sont réelles, mais cette histoire d'errata n'était que le moyen d'annoncer aux lecteurs qu'ils pouvaient se procurer désormais le tome VI à Paris. Desfontaines en annonce la publication le 12 avril 1738, dans ses Observations sur les écrits modernes(79), tout en refusant encore d'admettre que Prévost ne soit [p. 202] pas l'auteur du tome V. On ne peut savoir exactement qui s'est chargé de l'impression, mais sur l'origine française du tome VI et la permission donnée par d'Aguesseau, aucun doute n'est plus permis.

Tout ce que nous venons de constater est encore confirmé par un remarquable document inédit que nous citerons en entier. Il est de Jean Néaulme de La Haye, qui s'empressa de copier le t. VI de Prévost pour des raisons qu'il énonce avec véhémence :
 
 

AVERTISSEMENT de Jean Néaulme AUX LIBRAIRES

Voici, Messieurs, le V. tome du Philosophe anglais ou Histoire de Mr. Cleveland, écrite par l'auteur même des quatre premiers volumes. Je viens de l'imprimer, parce que le droit de copie de cet ouvrage m'appartient incontestablement, l'ayant acheté publiquement en vente entre les libraires le 27. d'août 1736 d'Étienne Néaulme libraire d'Utrecht(80). Il l'avait inséré dans mon catalogue avec le droit de copie de cette suite, qu'il a soutenu lui appartenir aussi bien que des quatre premiers volumes, l'ayant payée d'avance à l'auteur, avec lequel il avait contracté pour un ouvrage complet ; ce qui a été su de tous les libraires, puisqu'il les en a instruits dans le temps même par un imprimé, et ensuite par les gazettes. On pourroit juger par l'exemplaire de ce V. tome que j'ai reçu de Paris, que l'auteur l'a fait imprimer à ses dépens(81). Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est que le titre de ce volume porte, à Utrecht, chez Étienne Néaulme, 1738 ; et que l'Avertissement dit que c'est une suite aux quatre prémiers volumes de la première édition qui s'est faite à Utrecht chez le même. C'est précisément aussi ce que j'imprime, et qui m'appartient. Je vous en ai donné connaissance, Messieurs, en vous faisant présenter ma liste pour y signer le nombre que vous en souhaiteriez ; et j'ai eu la satisfaction de voir par le nombre qui a été mis à côté de chaque nom, le jugement favorable que vous portez tous sur la justice de mon droit. Aussi n'ai-je rien tant desiré, que de m'en rapporter à votre décision. J'ai l'honneur d'être,
Messieurs,

Votre très humble et très
obéissant Serviteur
La Haye, ce 13. mai 1738(82). Jean Néaulme

[p. 203] Ainsi, Etienne Néaulme n'avait considéré Prévost nullement affranchi de ses obligations vis-à-vis de lui(83), mais il avait vendu ses droits : voilà ce qui explique pourquoi, dans les nombreux avertissements qu'il fait insérer dans les gazettes d'Utrecht et d'Amsterdam en 1738 et 1739, il n'est jamais fait mention du Philosoplie anglais. Son frère, par contre, annonce dès le 22 avril, dans la Gazette d'Amsterdam, une longue série de livres se terminant : « [...] aussi bien que la suite à l'Histoire de Cleveland, écrite par l'auteur des 4 premiers volumes, grand et petit 12º, que ledit libraire a annoncé depuis longtemps(84)». Jean Néalme tient à souligner qu'il ne s'agit plus de la fausse suite de 1734, et qu'il a imprimé la vraie dans les deux formats(85) pour que le nouveau tome puisse s'adapter à toutes les collections déjà commencées(86). D'ailleurs les éditions de Jean Néaulme portent sur la page de titre cet éclaircissement : «  Tome cinquieme : ou tome sixieme pour ceux qui ont le Tome V. d'un autre Auteur. »
 

Finalement, les deux derniers tomes ne paraissent qu'un an plus tard, dans la première quinzaine de mars 1739, d'après la Gazette d'Utrecht : « L'Abbé Prévost d'Exiles vient de donner au public, les 7 et 8mes Tomes de son Histoire de Cleveland. Les derniers événemens y sont ménagez de façon à fournir matière pour d'autres volumes de cette Histoire(87) ». La longue attente, on le voit, n'inspirait guère confiance. La note par laquelle se terminait le tome VIII pouvait faire soupçonner, en effet, que Prévost n'avait pas encore fini de faire traîner son roman : « Le manuscrit de Monsieur Cleveland ne contient que ce qui se trouve [p. 204] renfermé dans les sept volumes, dont celui-ci fait la conclusion. C'est dans cet état que je l'ai reçu de son fils. Mais les événements de sa vie chrétienne ont été écrits par ses enfants et seront donnés quelque jour au public(88). » Ces lignes ont l'avantage d'excuser l'auteur en quelque sorte de n'avoir pas réalisé, à la fin de l'histoire, la conversion complète du héros -- la « vie chrétienne » annoncée ici en servant de garantie implicite.

En fait pourtant, à cette époque, Prévost voulait plutôt créer l'impression que, loin de chercher des prétextes à étendre ses romans, il comptait désormais se consacrer tout entier à des travaux plus sérieux ; « je considère de quel avantage il serait pour ma tranquillité et ma réputation », écrit-il à Dom Guillaume Le Sueur, « de pouvoir sortir de ce labyrinthe de bagatelles où l'état de ma fortune me tient renfermé malgré moi. Les études dont je me suis occupé toute ma vie ne devaient pas me conduire à faire des Clevelands. Quelle obligation ne vous aurais-je pas, mon Révérend Père, si vous pouviez contribuer par vos soins à m'ouvrir une autre carrière(89) ». Il ne faut pas, toutefois, prendre trop littéralement cette lettre de supplique adressée à un religieux. Prévost avait déjà dénoncé ses romans dans Le Pour et Contre en 1735-1736 au moment où il travaillait à la continuation de Cleveland et du Doyen de Killerine, et on sait qu'il écrira encore beaucoup en 1739 et 1740.

Les deux derniers tomes sont annoncés par Desfontaines le 21 mars 1739(90) ; le Mercure, en avril, précise qu'ils se vendent « à Paris, chés Prault, fils Quai de Conty, à la Charité(91) ». Ils portent, eux aussi, le nom d'Étienne Néaulme ; et Jean Néaulme, qui ne sommeillait pas, avertit immédiatement dans la Gazette d'Amsterdam du 17 mars 1739 qu'il les « imprime actuellement ». Pourtant il ne les acheva pas tout de suite : son prochain avertissement dans la même gazette, le 7 avril, n'y fait aucune allusion, et ce n'est que le 17 septembre qu'il en annonce positivement la disponibilité(92). [p. 205]

La premiere édition complète de Cleveland paraît en 1741. Le texte en est calqué page par page et presque mot par mot sur celle de 1736 et les tomes VI à VIII, les erreurs n'étant même pas corrigées, et ses six tomes sont encore imprimés sous le lieu et le nom : Utrecht, chez Étienne Néaulme(93). Aussi les indices intérieurs confirment-ils son origine française. D'autres éditions, surtout hollandaises, suivirent bientôt. Aucun manuscrit de Cleveland ne nous est parvenu, et Prévost lui-même n'en a jamais revu le texte.



Malgré ses vœux eccléslastiques, Prévost était un écrivain de profession, conscient à la fois de son grand talent et de ses nécessités pécuniaires, forcé de défendre l'intégrité conceptuelle de chaque œuvre contre le besoin toujours pressant de signer le maximum de contrats et de produire le plus de feuilles possible. D'une part, l'histoire qu'on vient de tracer comporte -- et ce n'est pas la seule fois dans la vie de l'auteur -- un aspect de malhonnêteté gênant : Prévost s'engage à donner une œuvre complète, et n'en livre qu'une partie, ne sachant pas très bien où ni comment il parviendra à la conclure ; il se sert de la continuation projetée mais à peine entamée pour soumettre son éditeur à un chantage financier et finit, longtemps après, par la faire imprimer ailleurs. Procédés qu'on ne peut excuser comme de simples manifestations d'une incurie bon enfant, car Prévost apprécie fort bien le sens de la propriété littéraire : il vend par quantité, « la feuille à tant ». Il proteste d'ailleurs maintes fois, tant par ses déclarations que par ses actes, contre cet usage qui bornait les droits de l'auteur à la vente du manuscrit, après quoi les libraires -- ces « corsaires » -- en tiraient tout le profit possible. Le Philosophe anglais appartient de droit à Étienne Néaulme ; et puisque l'ouvrage n'est pas encore fini, cela signifie obligatoirement qu'une partie de l'avenir est, pour son créateur, vendue d'avance.

D'autre part, et malgré l'apparente désinvolture de Prévost qui lui fait différer si longtemps sa conclusion pendant qu'il se lance dans d'autres projets -- sans parler d'aventures romanesques -- , il y a son obstination à en faire ce qu'il veut, à reprendre possession de son propre roman et l'imposer comme il l'entend. [p. 206] C'est ainsi qu'il achève le Cleveland juste à l'époque où il y a peut-être plus à perdre qu'à gagner, où il apaiserait mieux ses ennemis en le discontinuant. Plutôt que de sacrifier son œuvre à sa réconciliation avec les Jésuites, il tient au contraire à mettre encore des Jésuites dans les derniers tomes -- cette fois, il est vrai, des Jésuites respectables et louables ; l'esprit de réconciliation n'y est évidemment pas perdu de vue, mais il se réalise sur le terrain de Prévost et finalement dans ses termes. Sollicite-t-il, à titre de grâce exceptionnelle, une permission pour publier à Paris en dépit de la défense quasi officielle des romans, il promet une conversion édifiante. Mais il ne la livre pas : les propres desseins de Prévost voulaient que la « conversion » du héros soit ambiguë, de même que ses résolutions philosophiques sont complexes et problématiques. Jamais il ne consent à abandonner ses droits fondamentaux de créateur ; il reste seul l'arbitre du sens qui informe l'œuvre. Le long d'une route cahoteuse, le roman reste jusqu'à la fin fidèle à lui-même.

On peut admirer après tout cela la cohérence d'une œuvre qui, dans sa forme finale, n'apparaît guère fragmentée. Loin de ne présenter au lecteur qu'une série d'épisodes mal cousus les uns aux autres, Cleveland (comme c'est le cas aussi des Mémoires d'un homme de qualité et du Doyen de Killerine) manifeste une unité remarquable, surtout en ce qui concerne la conception des personnages. L'œuvre se tient, ce qui veut dire qu'on peut l'analyser dans ses propres termes comme toute grande œuvre. Il est évident que pour Prévost les projets annoncés ne sont pas de vagues fantaisies : la preuve est qu'il ne les abandonne pas. Qui sait si les interruptions de son travail me lui sont pas nécessaires pour lui laisser le temps de réfléchir, pour que mûrissent dans son imagination les conséquences de dilemmes plus tôt élaborés que résolus? « Cleveland and that dear Fanny are not out of my mind... » : comment croire que Prévost n'ait pas tendrement chéri et nourri ses personnages, qu'il n'ait pas, comme Rousseau, vécu et souhaité de vivre avec eux ? Le roman suit inaltérablement son idée maîtresse, et les personnages gardent, à travers tout, leur essence.

Aucune œuvre de Prévost ne se vendit, d'emblée, si bien. Alors qu elle n'est encore qu'à demi terminée, on compte cinq ou six éditions en français, trois en anglais, une en allemand, une ou deux en hollandais ; les éditeurs se la disputent avec acharnement, même échaudés une première fois. Le roman jouit d'une vogue formidable dont témoignent les nombreux notices et comptes rendus dans les périodiques du temps.

Les romans à succès étaient très imités à l'époque, comme les [p. 207] films à succès aujourd'hui ; les suites de toutes sortes et les travestis pullulaient. Si bien que, avec le nombre des éditions, les titres dérivés constituent l'un des meilleurs indices de la popularité d'un ouvrage. Les Mémoires et aventures d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde ont inspiré les Mémoires et aventures d'une dame de qualité qui s'est retirée du monde et les Mémoires d'une fille de qualité qui ne s'est point retirée du monde(94) ; à cause de La Vie de Marianne on vit paraître plusieurs suites de La Vie de Marianne et La Nouvelle Marianne(95) ; Le Paysan parvenu a eu des échos tout le long du siècle : La Paysanne parvenue, Le Paysan gentilhomme(96), La Nouvelle Paysanne parvenue(97), enfin Le Paysan et la Paysanne pervertis de Restif et même que Le Philosophe parvenu(98).

Il en fut ainsi du Philosophe anglais. En 1735 paraît déjà Le Philosophe chrétien(99), en 1736 Le Solitaire philosophe(100), en 1737 Le Philosophe amoureux(101), et en 1737 aussi une permission est refusée au Philosophe chimique démasqué(102) ; il y a Le Guerrier philosophe(103) et un nouveau Philosophe amoureux en 1746(104), suivis de Thérèse philosophe(105), un autre Philosophe chrétien en 1749(106), Le Philosophe soi-disant de Marmontel(107), Le Philosophe nègre en 1764(108), La Philosophe par amour, en 1765(109) et Le Philosophe sérieux en [p. 208] 1772(110). Sans compter beaucoup de comédies aux titres semblables. Dans certains de ces cas on pense naturellement à un autre contexte pour expliquer le titre, celui de la bataille qui occasionna Les Philosophes de Palissot dans les années 1750 et 1760, d'où Le Philosophe sans le savoir de Sedaine. Mais justement on est en droit de se demander si cette nouvelle série « philosophe » ne dérive pas en partie de la première, et si le sens très spécial qu'acquiert le mot philosophe vers le milieu du siècle n'a pas été préparé par le roman de Prévost. Car le terme a déjà chez lui cette acception à la fois générale et positive, et son protagoniste incarne les meilleurs attributs du nouvel idéal : liseur, bien entendu, mais sans prétentions érudites, philosophe de bon sens plutôt ; esprit éclairé et raisonnable surtout, pour qui la sagesse et la vertu sont en principe des choses simples. On sait que dans sa jeunesse Rousseau lisait « avec fureur » Le Philosophe anglais(111). Nous commençons à peine à apprecier l'influence d'écrivain de Prévost. Peut-être a-t-il, dans quelque mesure, appris aux philosophes à être romanciers(112).
 

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NOTES

1. L'édition qui fait date est Œuvres de Prévost, dirigée par Jean Sgard, Presses Universitaires de Grenoble, 8 vols., 1977-1986 ; Le philosophe anglais, ou mémoires de M. Cleveland, fils naturel de Cromwell (éd Philip Stewart) y occupe le t. II, les notes paraissant dans le t. VIII. Cf. Jean Sgard, « Éditer Prévost 5 », Études Littéraires, août 1968, p. 175-183, et « L'Édition des Œuvres de Prevost », Dix-Huitième Siècle nº 5 (1973), p. 297-303.

2. Henry Harrisse, L'Abbé Prévost, Paris, 1896.

3. Jean Sgard, Prévost romancier, Paris, 1968, p. 127-128.

4. Dans Pensées de M. l'abbé Prévôt, précédées de l'abrégé de sa vie, Amsterdam, Arské et Merckus, 1764, p. xxv-xxvi. Nous modernisons l'orthographe, à l'exception des citations de manuscrits et sources inédits.

5. Sur cette date, voir Jean Sgard, Prévost romancier, p. 127, et l'Introduction de Frédéric Deloffre à l'éd. Garnier (1965) de Manon Lescaut, p. lv-lvi. En fait Dom Dupuis, en parlant du séjour en Angleterre, semble penser à celui de 1733 (v. Deloffre p. xlviii) : en ce cas l'erreur est plus grande encore car les quatre premiers tomes étaient parus dès la fin de 1731.

6. J. Gautier de Faget de Malines, Mémoires du chevalier de Ravanne, Londres, 1751, t. III p.175. L'identité de Ravanne a été établie par Jean Sgard (ibid., p.123).

7. Voir F. Deloffre, op. cit., p. lix-lxiii. La première lettre de Prévost à Prosper Marchand, datée de La Haye, est du 9 juillet 1731 (J. Sgard, op. cit., p.623, nº 6).

8. Gosse et Néaulme parlent de « leur associé Nicolas Prévost, libraire à Londres » dans un avertissement (où Étienne Néaulme est également mentionné) paru dans la Gazette d'Amsterdam le 15 avril 1732 ; cette association remonte an moins jusqu'en 1726, comme l'attestent les catalogues de Gosse et Néaulme. Ceux-ci avertiront dans le même périodique, le ler janvier 1734, que Nicolas Prévost ne leur est plus associé, et le 20 avril 1734 que leur propre société est dissoute.

9. Historia Litteraria, nº 8, p. 202, sous la rubrique : « The present state of learning », section « Utrecht ». On peut dater avec précision les numéros de ce périodique, grâce aux listes mensuelles des livres publiés que donne le Gentlemen's Magazine (v. aussi ci-dessous, note 13).

10. Et le 11 mars dans le Grub Street Journal.

11. Gentlemen's Magazine, vol.I, année 1731, avril, p. 179 ; Grub Street Journal, nº 68, 22 avril 1731, « Books and Pamphlets published since April ». En France, la première annonce de cette édition que nous avons trouvée est celle du Journal des Savants : « Prévost a imprimé la vie de M. Cleveland fils naturel d'Olivier Cromwell, écrite en anglais par lui-méme, in-8º 2. vol. » (juin 1731, p. 374) ; « Prévost », c'est l'éditeur anglais Nicolas Prévost, car aucune annonce française de 1731 on 1732 ne signale le nom de l'auteur.

12. Il faut se rappeler que la Grande-Bretagne n'adopta qu'en 1752 le calendrier grégorien : à toute date anglaise ici il faut ajouter onze jours.

13. « London : Printed for E. Symon in Cornhill, and N. Prevost in the Strand. MDCCXXXI » (au t. II le nom de Prévost précède celui de Symon). Exemplaire à la Folger Shakespeare Library à Washington.

14. Année 1731, vol. IV, p. 81.

15. Nº IX (28 avril 1731), p. 285-292, article xxxix.

16. Catalogus librorum, in omni facultate, apud Nicolaum Prevost, Sociosque Venalium. Pars II, Londres, Nicolas Prevost et Comp., 1731, p.  155. Ce Catalogus lui-même est signalé dans les livres parus en avril at mai par le nº X (3 juin) de l'Historia Litteraria, p. 408.

17. Ibid., p. 175. On peut ajouter que dans l'index du Catalogus, on trouve cette édition-ci sous les deux noms de Prévost et de Cleveland, mais l'èdition anglaise seulement sous le nom du protagoniste.

18. Le titre est allongé pour en rehausser l'intérêt dramatique, de façon à ranger l'ouvrage définitivement dans la catégorie des romans.

19. C'est ce qu'affirrne Mysie Robertson dans son édition du t. V des Mémoires d'un homme de qualité, Paris, 1927, p. 15, n. 5.

20. Bibliothèque Nationale, Rés. Q 987. Une transcription tres fautive en fut publiée par Marie-Rose Rutherford dans French Studies, vol. IX (1955), p. 227-237.

21. Néaulme indique à la fin des Extraits qu'il aurait payé environ 160 florins les 22 feuilles éventuelles de la suite, soit un peu plus de sept florins la feuille.

22. « Soit que je juge à propos de finir le Cleveland, ou de le laisser imparfait, je me réserve la liberté de le donner à qui je voudrai soit en France soit en Hollande, ayant satisfait aux engagements de mon contract qui ne porte qu'environ soixante feuilles comptées sur le format de l'Homme de qualité » (p. 22, lettre du 23 octobre).

23. « Si vous comptez avoir rempli votre contract, votre manière d'agir n'est pas telle qu'elle doit être, vous vous êtes engagé à me fournir un ouvrage fini, et non pas un ouvrage imparfait » (p. 24-25, lettre du 24 octobre).

24. Probablement parce qu'il a décidé d'adapter une bonne partie de la conclusion d'abord projetée pour Cleveland (la tragedie de la Nouvelle Orléans) à Manon Lescaut, qu'il achevait à la même époque : voir J. Sgard, op. cit., p. 128-129 et 227-232.

25. Dans ses lettres à Néaulme, Prévost parle d'une conclusion en un (cinquième) volume de 22 à 23 feuilles, ce qui ferait un tome plus gros encore que le t. III qui comportait 442 pages.

26. Histoire de M. Cleveland, dans Œuvres choisies de Prévost, Paris, Leblanc, 1810

(t. IV-VII), t. II, p. 278.

27. Voir plus haut, p.184.

28. Voir plus haut, p. 185, notes 17 et 18.

29. Année 1731, t. XVII, 1re partie, p. 250. Celle-ci est la première des quatre parties du Journal Littéraire (t. XVII et XVIII) datées 1731 ; elle contient aussi (p. 252-268) une description du projet de traduction de l'Histoire de de Thou dont le prospectus avait paru le 10 avril (voir F. Deloffre, op. cit., p. lix).

30. On ne connaît qu'un seul exemplaire de cette premiere édition de 1731 en deux tomes, celui de la Herzog-August Bibliothek à Wolfenbüttel.

31. T. I, p. 111. Ils sont mentionnés également par le nº XI de l'Historia Litteraria, sorti le 26 juillet, p. 510. La référence au Journal des Savants donnée par J. Sgard (op. cit., p. 128, n. 41 et p. 609, n. 5) concerne l'édition anglaise et non celle de Néaulme : voir plus haut p. 184, note 3.

32. La promesse d'un « dernier volume » est invoquée dans la première lettre publiée par Néaulme, datée du 3 janvier 1732 ; elle remonte sans aucun doute an moment où Prévost livrait le manuscrit des tomes III et IV (entre mai et juin 1731, comme l'indique Faget (voir plus haut, p.183).

33. Septembre 1731, t. 1, p. 353-354, dans les nouvelles littéraires d'Utrecht. Nous n'avons pourtant vu aucun exemplaire des t. III et IV portant la date de 1731.

34. Bibliothèque Belgique, octobre 1731, p. 419-421 (cet article iii continue jusqu'à la p. 455).

35. La même réclame, ou à peu près, paraît dans les numéros des 9, 12 et 30 octobre et des 2 et 16 novembre ; on trouve aussi une annonce dans le Mercure de France du mois d'octobre (nouvelles littéraires, p. 2373).

36. Annoncée par le Mercure de France en décembre 1732 (p. 2829-2830).

37. A part les figures et pages de titre, les deux éditions de 1731 et 1732 sont rigoureusement identiques. Avant la découverte de la première, on avait cru à une divergence (par ex. J. Sgard, op. cit., p. 128, n. 46), puisque la Bibliothèque Belgique, dans l'article d'octobre 1731, indiquait pour le premier tome la pagination « en tout 284 » : c'est que, dans les deux cas, la Préface de xviii pages s'ajoute aux 266 pages nomérotées en chiffres arabes.

38. « Registre de la Librairie du 1er février 1728 Monsieur Chauvelin Garde des Sceaux », Bibliothèque Nationale, ms. fr. 21996, fº 83 verso. Sur le censeur Lancelot, voir l'article d'Hélène Himelfarb, « Saint-Simon et les 'nouveaux savants' de la Régence : sa collaboration avec Antoine Lancelot », dans La Régence, Actes du Colloque d'Aix-en-Provence, Paris, 1970, p. 109-111.

39. Le privilège et la cession sont enregistrés le 22 mai dans le « Registre des privilèges accordés aux auteurs et libraires » sous le titre : « 171 Privilège général Nº 1052 Le S. [sieur] Didot » (B. N. ms. fr. 21955, fº 166).

40. « Registre des livres de privilège retirés de la chambre Syndicale des Libraires pour la bibliothèque du roi », ms. fr. 22023, p. 130. Il peut y avoir un délai entre la publication et cet acte de retrait, mais il est en général court : à la même date que ces deux volumes du Cleveland, par exemple, on trouve dans le registre le Journal de Verdun pour le mois de novembre.

41. Dans les nouvelles littéraires de Paris, p. 744-745. Desfontaines précisera qu'il s'agit d'un « livre réimprimé sur l'édition de Hollande » (Le Nouvelliste du Parnasse, t. IV, p. 38 [lettre datée du 3 mars 1732) : la nature des variantes tend à confirmer l'exactitude de son assertion au moment où Didot met le roman sous presse, quoiqu'il ait dû disposer d'un manuscrit au mois d'avril précédent.

42. Ms. fr. 22023, p. 135. Il est vrai que cet enregistrement des t. III et IV porte les rubriques Didot, 1731, et non Guérin, 1732, probablement parce que le privilège de 1731 était en son nom, et que c'était lui qui se chargeait donc de les faire enregistrer à la Chambre. Le Journal des Savants, avec la même ambiguïté, annonce que Didot « a en vente » les t. III et IV (mars 1732, p. 184-185), qui pouvaient encore etre ceux de Guérin. On ne connaît en tout cas aucun exemplaire de ces deux tomes portant le nom Didot, ni des tomes I et II sous celui de Guérin (malgré les indications données par Harrisse, op. cit., p. 184, qui sont probablement de pures conjectures) ; tout porte donc à croire qu'ils entendaient, en divisant le privilège, en publier chacun la moitié pour que leurs quatre tomes assortis fassent une seule édition.

43. T. XVIII, iie partie, p. 432-437, article xiii : « Lettre de l'auteur du Philosophe anglais, aux auteurs de ce journal ». La Bibliothèque Belgique riposta aussitôt en réaffirmant longuement ses arguments (janvier 1732, p. 70-101).

44. Dans l'édition Guérin tout le tome IV est occupé en fait par le « livre vi », mais cela fait un livre d'une longueur exceptionnelle (314 p.) et on peut supposer que l'intention avait d'abord été de le diviser ; on remarquerait peu d'ailleurs que cet en-tête du « livre vii » manque, le tome se terminant « Fin du quatrième volume ».

45. Harrisse, op. cit., p. 185. Nous n'en avons pas trouvé d'exemplaire, et Harrisse ne dit pas où il l'a vu, mais il affirme que ce tome contenait « la fin du livre vi et tout le livre vii ». Ses 319 pages ajoutées aux tomes Guérin rétabliraient en effet la bonne proportion par rapport aux tomes Didot.

46. Extraits de plusieurs lettres [...], p. 13-14. Prevost écrivait aussi, dans une lettre à Prosper Marchand (que Harrisse date du 12 février 1732) que « l'édition française a été contrefaite à Paris et s'y vend avec beaucoup de succès » (Harrisse, « La vie monastique de l'abbé Prévost », Bulletin du Bibliophile, 1903, p. 212-213) ; mais cette affirmation ne prouve pas que l'édition parisienne ait été faite sans l'aveu de Prévost ou an moins de Néaulme.

47. Ibid., p. 16, lettre du 19 octobre 1732 ; il affirme dans la même lettre que Didot lui offre 25 livres la feuille.

48. Voir Harrisse, L'Abbé Prévost, p. 156-157. Selon lui, l'éd. de Paris a deux gravures duns chaque tome comme l'éd. NéauIme de 1732 ; mais dans l'exemplaire de la B. N., que nous suivons ici, let figures 1, 5, 6 et 7 sont au t. III, et les fig. 2, 3 et 4 au t. IV (la 8e manque).

49. « II y a peut-être de l'excès dans la facilité avec laquelle je consens tous les jours à bien des choses qui partagent mon application; j'en conviens, mais c'est un ancien défaut dont je désespère de me corriger jamais » (Extraits, p. 13).

50. Année 1734, t. XXI, p. 473. La date précise de ce texte n'est pas sûre ; c'est la deuxième des trois « parties » datées 1734.

51. Par exemple, cette annonce parue dans la Gazette d'Amsterdam les 14 et 18 mai

1734 : « E. Néaulme, libraire à Utrecht, a imprimé et debite le Philosophe anglais ou Histoire de Mr. Cleveland, fils naturel de Cromwel, 5 vol., 12º, nouvelle édition augmentée d'un volume, que l'on peut avoir séparément ». Harrisse n'avait pas compris, en trouvant des indications d'une édition de 1734 en six volumes (L'Abbé Prévost, p. 233-234), qu'il s'agissait de celle-ci, complétée par le tome V.

52. Le Pour et Contre, nº 47, t. IV, p. 31-32.

53. V. p. ex. la lettre de Marais, citée (quoique inexactement) par Harrisse, L'Abbe Prévost, p. 231.

54. P. 2106, dans les nouvelles littéraires d'Utrecht.

55. Voir J. Sgard, op. cit., p. 318-322.

56. Mémoires de Trévoux, novembre 1735, p. 2386-2387.

57. Lettre sans date qui figure dans le portefeuille de Bachaumont à l'Arsenal (Ms. 3505, fº 147-148), citée par Harrisse, p. 239-244.

58. II souligne encore cette intention dans l'Avertissement de son tome VI, que n'a pas reproduit l'édition Leblanc.

59. Le Doyen de Killerine, t. I (Paris, Didot, 1735), p. xiii.

60. On trouve ce catalogue à la fin de certains exemplaires du tome X (janvier 1737) du Pour et Contre.

61. Duns cette situation il s'agirait d'une simple permission orale et non d'un acte officiel.

62. Douze exemplaires hollandais en cinq volumes sont saisis le 7 décembre 1734, quatre autres en quatre volumes le 8 avril 1735, et ainsi de suite jusqu'en 1741 (« État des livres arrêtes dans les visites faites par les syndic et adjoints », B. N. ms. fr. 21931, fº 274-278).

63. A Amsterdam, J. Ryckhoff fils venait en 1736 aussi de publier sa première édlition du roman, mais c'est une reprise en quatre tomes du texte parisien censuré.

64. Voir à ce sujet Robert Estivals, La Statistique bibliographique de la France sous la monarchie au 18e siècle, Paris et La Haye, 1965, ch. iv : « Circuit des permissions tacites ». Si on ne trouve pas ces volumes dans le « Registre des livres d'impression étrangère présentés pour la permission de débiter », où c'était la coutume d'inscrire les permissions tacites (Ms. fr. 21990), c'est probablement parce que la mention « Réimpression » n'y est souvent suivie d'aucune précision de titre.

65. Voir Jean Sgard, « L'apostasie et la réhabililation de Prévost », dans L'Abbé Prévost. Actes du colloque d'Aix-en-Province, 20 et 21 decembre 1963, Éditions Ophrys, 1965, p. 11-22.

66. Prévost à Thieriot, de l'abbaye de la Croix-Saint-Leufroy ; citée par Harrisse, L'Abbé Prévost, p. 254.

67. Lettres du commissaire Dubuisson au marquis de Caumont, Paris, P. Arnould,

s. d. (1882), p. 209, lettre du 4 mal 1736. Cet accord fut peut-être triangulaire entre Prévost, Prault et Didot, car ces deux derniers vendaient, comme on l'a vu, une même édition de 1736.

68. B. N. ms. fr. 24412, fº 473. L'imprimeur de Le Blanc, c'est encore Prault, qul publiait en 1736 Aben-Saïd.

69. Formont à Cideville, de Paris le 14 février 1737, dans Voltaire's Correspondence, Genèeve, Institut et Musée Voltaire, 1953-1965, Nº 1226 (t. VI, p. 70).

70. Sur son rôle comme directeur de la Librairie, voir le chapitre « La proscription des romans » dans Georges May, Le Dilemme du roman au 18e siècle, New Haven et Paris, 1963, p. 75-l05.

71. Il faut en consequence modifier quelque peu les conclusions de Georges May sur le déplacement de la publication de Cleveland qui, selon lni, commence à Paris et se poursuit en 1738 à Utrecht (ibid., p. 82-84 et 95 ; voir aussi J. Sgard, Prévost romancier, p.353 et 609). Or c'était l'inverse, mais, vu les circonstances du cas, ce détail n'affaiblit pas forcément sa thèse.

72. Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, Ms. 616, fº161.

73. Vie de Voltaire (publieé en 1789), dans l'édition Moland des (Œuvres de Voltaire, Paris, Gamier, 1883, t. I, p. 213.

74. Les Éléments sont refusés vers le 25 janvier 1738 (G. May, op. cit., p. 84). En ce qui concerne Cleveland, M. May cite les mêmes témoignages pour conclure dans un sens opposé, mais l'article de la Gazette d'Utrecht cité un peu plus loin semble prouver notre argument.

75. Maximes ct pensées, caractères et anecdotes, Paris, Garnier-Flammarion, 1968, p. 314. Les Caractères et anecdotes, où se situe ce passage, ne furent publiés qu'en 1795.

76. Numéro du 22 avril 1738, dans la « suite des nouvelles de Paris, du 14 avril ». Prévost était depuis février 1736 l'aumônier da prince de Conti, dont l'appui n'empêcha pourtant pas que la deuxième partie du Doyen de Killerine, présentée officiellement à la censure par Didot le 2 janvier 1738, ne fûl refusèe (ms. fr. 21996, fº 275 verso).

77. Voir Jean Sgard, op. cit., p. 352-353; ce fait atténue évidemment la distinction nette que fait M. Sgard entre Cleveland, « qui reste suspect », et le Doyen.

78. Nº 205, t. XIV, p. 312.

79. T. XIII, p. 24, lettre clxxxi datée le 12 avril 1738. Dubuisson en parle le 23 avril (Lettres, op. cit., p. 454), et La Barre de Beaumarchais le 2 mai (Amusements Littéraires, t. I, dans Lettres sérieuses et badines, t. X, 1740, p. 264, lettre xliv).

80. Cette date paraît corroborer aussi que Prévost avait réellement traité avec Prault (en mai selon Dubuisson, cité plus haut) et que les libraires étaient presque sûrs d'obtenir les derniers volumes.

81. « Voyez le Supplément à la Gazette d'Utrecht du 22 avril 1738, article de Paris. II y est dit, que l'auteur vient d'obtenir la permission d'achever son Histoire de Cleveland qu'il avait commencé en Hollande ; qu'il vient d'en donner le V. tome, et qu'il le distribue lui-même à l'Hôtel de Conty. » (Note de Jean Néaulme).

82. Cet avertissement, imprimé sur les deux faces d'une seule feuille, ne semble pas avoir été destiné à faire partie des volumes, mais à accompagner l'envoi d'exemplaires déjà commandés. Mais il a été incorporé, assez curieusement, à deux exemplaires du t. V dans l'édition Arkstee et Merkus (Amsterdam et Leipzig) en 1744, et c'est ainsi que nous l'avons trouvé.

83. Étienne Néaulme avait écrit dans les Extraits de plusieurs lettres : « que Mrs les Libraires jugent [...] si la continuation du Cleveland ne m'appartient pas de plein droit, aussi avertis-je que je l'imprimerai d'abord que l'auteur le mettra au jour, dans quel quartier du monde qu'il l'envoie » (p. 26).

84. D'autres notices paraissent dans le même journal le 23 mai et dans la Gazette d'Utrecht les 19 et 26 mai.

85. Le grand in-12, celui de l'édition Étienne Néaulme de 1731 et 1732 ; le petit in-12 comme celle de 1734.

86. II existe un document qu'on sait encore mal expliquer : c'est one page de titre et avertissement du tome VI sans texte, petit in-12, portant le nom d'Étienne Néaulme et la date 1738, qui ont été trouvés dans différents endroits de deux exemplaires du t. V dans l'edition Arkstee et Merkus (1744) en sept volumes.

87. Nº 24, 24 mars 1739, dans la « suite des nouvelles de Paris, du 16. mars ».

88. On peut comparer cet avis avec celui qui, à la fin du Doyen de Killerine, donne également l'impression que l'histoire reste inachevée : elle ne comporte que six livres sur les douze annoncés au début.

89. Lettre do 8 octobre 1738, citée par Harrisse, L'Abbé Prévost, p. 283-284.

90. Observations sur les écrits modernes, t. XVII, p. 47, lettre ccxlii datée du 21 mars 1739.

91. Avril 1739, p. 718-719. Autre annonce, de date incertaine : Bibliothèque Française, t. XXIX, ire partie, p. 182-183 (nouvelles littéraires de Paris).

92. « En grand et en petit in-12 » dit l'annonce : nous ne connaissons pas d'exemplaire du grand format de ces tomes. L'édition de La Haye en huit volumes est indiquée dans le Sixième supplément du catalogue de livres nouveaux, qui se trouvent à la Haye chez Jean van Duren, et dans sa boutique à Francfort sur Mayn, pendant la foire (relié avec le t. X des Lettres sérieuses et badines à la B. N.), 1739, p. 6. La foire de Francfort avait lieu à Pâques, mais ce sixième supplément doit avoir paru plusieurs mois après le catalague préparé pour la foire elle-même. Les t. VII et VIII se trouvent aussi dans le catalogue des livres nouveaux de la Bibliothèque Raisonnée des mois de juillet à septembre 1739 (t. XXIII, ire partie, p. 240), mait on ne peut dire de quelle édition il s'agit.

93. Ce doit être cette édition que Didot met dans son catalogue de 1746 (« dernière édition, 6. vol. in-12 ») à la fin du t. ii de l'Histoire générale des voyages.

94. Par l'abbé Claude-François Lambert (La Haye, 1739), et le chevalier de Mouhy (Amsterdam, 1747).

95. De l'abbé Lambert (La Haye, 1740).

96. Par Mouhy (Paris, 1735-1737), et Catalde (Panis, 1737).

97. Jeannette seconde, ou la Nouvelle paysanne parvenue, de Gaillard de la Bataille (Amsterdam, 1744).

98. Par Le Suire (Paris, 1787).

99. Le militaire en solitude, ou le Philosophe chrétien (Paris, 1735). Attribué par Barbier à Jacques-Ignace de la Touche, ou à un officier anglais nommé Creden.

100. Mémoires du marquis de Mirmon, ou le Solitaire philosophe, du marquis d'Argens (Amsterdam, 1736).

101. Le Philosophe amoureux, ou les Mémoires du comte de Mommejan, par le marquis d'Argens (La Haye, 1737).

102. B. N. ms. fr. 21996, f' 253 versa, le 8 janvier 1737.

103. Le Guerrier philosophe, ou Mémoires de M. le duc de **, par Jean-Baptiste Jourdan (La Haye, 1744).

104. Le Philosophe amoureux, ou les Aventures du chevalier K*** (La Haye, 1746) ; d'après Barbier, e'est le même ouvrage que L'Amour chez les philosophes, de Thomas L'Affichard.

105. Par d'Argens (La Haye, [vers 1749]) ; attribué par Barbier à d'Arles de Montigny.

106. Par le roi Stanlslas, d'après Barbier.

107. Dans les Contes moraux, publiés en 1761.

108. Le Philosophe nègre, et le secret des Grecs [escrocs], Londres, 1764, attribué par la Correspondance Littéraire à « un détestable auteur, M. [Gabriel] Mailhol » (avril 1764).

109. Attribué diversement à Mlle Mazarelli, Lombard, et Gatrey par la Correspondance Littéraire (juillet 1765).

110. Parmi les romans nouveaux cités dans la Correspondance Littéraire en octobre 1772 : « Le Philosophe sérieux, histoire comique à faire bâiller ».

111. Confessions, V, éd. de la Pleïade, p. 220.

112. Nous tenons à remercier MM. Jean Sgard et Michael Peel qui ont, par leurs critiques et les nombreux renseignements qu'ils ont fournis, beaucoup contribué à cet article.
 

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